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Le député RN Franck Allisio a omis de déclarer l’emploi de ses collaborateurs parlementaires
Enquête par Benoît Gilles
le 21 Nov 2024
En janvier 2023, le député RN Franck Allisio ne déclare pas à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique que deux de ses collaborateurs étaient par ailleurs agents contractuels de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Un cumul interdit par la loi, comme le signale la chambre régionale des comptes en 2023.
Y a-t-il comme un effet d’écho, l’ombre d’un système en place au sein du Rassemblement national ?
Alors que le tribunal correctionnel de Paris examine depuis un mois la situation des assistants parlementaires des députés européens du parti, une autre affaire du même tonneau ourle d’un soupçon de fraude la réputation de Franck Allisio, député de la douzième circonscription des Bouches-du-Rhône. Ce membre influent du bureau national, transfuge des Républicains époque Sarkozy, est un proche conseiller du président du parti d’extrême droite, Jordan Bardella.
Par ailleurs, il est pressenti pour être la prochaine tête de liste aux municipales de 2026 à Marseille.
Le parlementaire réélu triomphalement cet été est le défenseur de l’union des droites, et notamment du rapprochement avec l’aile dure des LR d’Éric Ciotti. Cela s’incarne avec le débauchage d’Olivier Rioult, ancien proche de Martine Vassal, désormais à la manœuvre à Marseille pour rendre le parti plus fréquentable.
Avant cela, Franck Allisio avait lancé un avatar du RPR comme tête de pont d’une alliance entre les droites.
Ultime pied de nez, il a racheté le logo et le titre de l’ancien parti gaulliste fondé par Jacques Chirac en juillet 2023. Franck Allisio en partage la propriété intellectuelle avec Marc-Antoine Ponelle, secrétaire général du groupe RN à la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur.
Omission dans la déclaration d’intérêts
Quelques mois plus tôt, Franck Allisio a eu certains oublis au moment de remplir sa déclaration d’intérêts et d’activités déposée 11 janvier 2023 auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Outre ses différentes activités professionnelles et militantes, et les revenus qui en découlent, le député frontiste y déclare celles de ses quatre collaborateurs parlementaires.
Pour trois d’entre eux, Franck Allisio prend le soin de préciser “employeur néant” dans la case permettant de décrire les “autres activités professionnelles exercées“. Le dernier, Bryan Vincent, travaille à temps partiel pour un laboratoire d’analyses médicales d’Aix-en-Provence. Or, deux d’entre eux, Marc-Antoine Ponelle et Louis Grégoire, ont bien un autre employeur : la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Agents contractuels, ils sont collaborateurs du groupe présidé par Franck Allisio, seul opposant de Renaud Muselier (Renaissance). Le premier est secrétaire général du groupe à la région et le second est notamment chargé des relations presse du député comme du président de groupe.
“Une erreur administrative”
“C’est une erreur administrative, reconnaît Franck Allisio auprès de Marsactu. Je pensais qu’il ne fallait déclarer que les activités des collaborateurs dans le privé, car celles-ci peuvent constituer la source d’un conflit d’intérêts. C’est pour cette raison que je n’ai pas signalé l’emploi de Marc-Antoine Ponelle et de Louis Grégoire à la région.” Il affirme avoir demandé la rectification de cette mention auprès de la HATVP, après qu’un journaliste de Mediapart lui a posé des questions à ce sujet en février 2024. “Mais la Haute Autorité est très longue à réagir, explique-t-il aujourd’hui. La dissolution est intervenue entretemps et la déclaration est restée telle quelle.”
Jointe par Marsactu, la HATVP a indiqué que la déclaration fait l’objet de “vérifications”. Elle est toujours “en cours de contrôle”. Enfin, à notre demande, la Haute Autorité rappelle le risque pénal que constitue le fait de “ne pas déclarer, fournir une évaluation mensongère de son patrimoine ou omettre une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts.” Un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Une peine d’inéligibilité de dix ans peut être prononcée, ainsi que l’interdiction d’exercer une fonction publique.
Pour justifier son omission, Franck Allisio indique que Marc-Antoine Ponelle n’a exercé auprès de lui que “le temps d’un tuilage” à l’été 2022, avant de rejoindre le conseiller régional Allisio à la rentrée suivante pour un temps plein à la tête du groupe. Le second, Louis Grégoire, travaille, lui, “à mi-temps pour l’Assemblée nationale en début de semaine, puis pour le groupe à la région à la fin de la semaine“. De fait, il est contractuel au conseil régional depuis 2020.
Un cumul autorisé par la région, pas par la ville
Franck Allisio affirme que les deux institutions ont autorisé un tel cumul. Effectivement, Louis Grégoire a produit auprès de Marsactu plusieurs documents qui attestent que la région autorise un tel cumul, au moins sur une partie de la période concernée. En revanche, la collectivité régionale n’a toujours pas donné son aval à une activité cumulée pour la nouvelle législature, pour laquelle le même Louis Grégoire est encore compté parmi les collaborateurs parlementaires du député.
Avant cela, le député Allisio a tenté de faire la même chose avec un autre collaborateur du parti, cette fois à la Ville de Marseille. Mais cette dernière n’a pas autorisé un autre proche d’Allisio, Maximilien Fusone, à compléter son temps partiel au sein du groupe RN au conseil municipal de Marseille. Joints par Marsactu, les services de la Ville confirment ce refus qui intervient dès 2022. Ils arguent de l’impossibilité pour un agent d’une collectivité locale de cumuler son emploi public avec un contrat de droit privé. “La seule exception, nous explique-t-on, concerne les collaborateurs de cabinet.” Cet argumentaire est directement fourni au député, bien avant sa déclaration à la HATVP.
“La Ville de Marseille a le droit de suivre ses propres règles, rétorque Franck Allisio auprès de Marsactu. En revanche, la région l’a autorisé et c’est le cas de bien d’autres régions de France. On trouve des agents des collectivités dans tous les groupes politiques de l’Assemblée.”
Changement de doctrine
Jointe par Marsactu, la région ne valide que partiellement ces explications. Selon elle, Louis Grégoire a bien vu son cumul autorisé “pour l’année 2022 et pour un an seulement”. “À l’époque, nous n’avions pas d’analyse juridique sur ce point. Nous pensions que, parce que cela n’était pas interdit, c’était autorisé”, dit-on. Depuis, la position de la région a évolué : “Nous n’avons pas autorisé un tel cumul en 2023, pas plus qu’en 2024.”
La région et la Ville s’appuient sur le même décret de 2020, l’une pour valider le principe du cumul et la seconde pour l’invalider. Ce décret fixe la liste des activités accessoires que peuvent exercer les fonctionnaires, même contractuels, en parallèle de leurs missions de service public. Ils peuvent donc enseigner, encadrer des activités sportives ou culturelles, aider à domicile un ascendant ou descendant, voire vendre des biens qu’ils fabriqueraient eux-mêmes, mais pas assister un député dans sa mission.
Un tel cumul est possible pour les collaborateurs de cabinet. Ainsi, Claude Bertrand a longtemps cumulé le rôle de directeur de cabinet à la Ville de Marseille avec celui d’assistant parlementaire de Jean-Claude Gaudin quand celui-ci était député, puis sénateur. En revanche, la législation n’autorise pas un tel cumul pour les agents des collectivités, fussent-ils contractuels comme Marc-Antoine Ponelle et Louis Grégoire.
Cumul interdit pour la chambre régionale des comptes
Un petit détour par l’Est de la région permet de mettre en doute le caractère légal d’un tel cumul. En effet, en août 2023, la chambre régionale des comptes publie un article sur le département des Alpes-Maritimes, alors présidé par Éric Ciotti. Ce rapport est plutôt sévère sur la façon dont le président du département joue au bonneteau avec ses collaborateurs, qui irriguent toute la collectivité et se retrouvent également à l’Assemblée nationale. Or, parmi eux, deux sont à la fois agents contractuels de la collectivité et collaborateurs du député Ciotti. La chambre est très claire à ce sujet :
“S’agissant des deux agents de la collectivité qui exercent également une activité d’assistant parlementaire, la réglementation ne leur permet pas d’exercer à titre accessoire une telle activité. Cette activité ne figure effectivement pas dans la liste des activités accessoires qu’un fonctionnaire ou un agent contractuel de droit public peut être autorisé à exercer au titre de l’article 11 du décret 2020-69 précité.”
Dans les Alpes-Maritimes, selon nos confrères de 20 minutes, les investigations de la chambre ont débouché sur l’ouverture d’une enquête préliminaire pour des faits présumés de détournement de fonds publics.
Là où l’argumentaire de Franck Allisio est sincère, c’est qu’il décrit avec précision le mélange des genres à l’œuvre au sein de tous les partis politiques sans exception. Dans tous les mouvements, les militants s’engagent pendant des années, voire des décennies, à titre bénévole avant d’espérer déboucher sur un emploi rémunéré. Et, dans ce cadre, les emplois de collaborateur de groupe d’opposition comme de parlementaire sont souvent la première marche vers un emploi permanent.
Un cabinet personnel à plusieurs échelles
La particularité du député Allisio est qu’il a mis en place un cabinet à plusieurs échelles où bossent des militants entièrement acquis à sa cause à l’Assemblée, à la région et à la Ville de Marseille. Et, forcément, d’une institution à l’autre, les rôles se confondent au point qu’il devient difficile de savoir qui travaille pour qui, en dehors du parti et de Franck Allisio lui-même.
Un exemple ? Sur sa chaîne Youtube, Franck Allisio publie une vidéo de l’Assemblée nationale sur les rencontres de l’aéronautique et du spatial qu’il organisait le 17 novembre 2023 au World Trade Center, non loin du conseil régional, à Marseille.
Le député Allisio y reçoit les acteurs locaux de ce secteur économique qu’il suit de près en tant que vice-président du groupe d’études sur cette filière à l’Assemblée. Or, dès les premières minutes de ce petit film tourné par l’Assemblée, on retrouve le député Allisio flanqué de deux collaborateurs de la région, Ralph Horvath et Marc-Antoine Ponelle, secrétaire général du groupe.
Selon les informations recueillies par Marsactu, et que la région n’a pas pu nous confirmer au moment de notre publication, les deux agents contractuels étaient absents “sans justification” ce matin-là.
Des vœux de député pilotés depuis le conseil régional
À d’autres moments, c’est l’inverse qui se produit. Marsactu a pu ainsi recueillir de nombreux éléments qui tendent à prouver que Marc-Antoine Ponelle était occupé à organiser les évènements de rentrée du député et secrétaire départemental Allisio plutôt que de s’occuper des seules tâches du conseiller régional RN, et ce, depuis les bureaux régionaux.
Le pompon du petit manège est atteint lors de la cérémonie des vœux du député Allisio en janvier dernier à Marignane. Dans une vidéo que Marsactu s’est procurée, on peut voir que la salle de réunion du groupe à la région sert très clairement de base arrière au député RN. Des cartons d’invitation voisinent avec d’autres remplis d’enveloppes siglées “Assemblée nationale” et des autocollants d’adresse.
De grandes enveloppes T adressées au service affranchissement du parlement traînent sur le bureau au milieu des retours de courrier. Très clairement, les bureaux où travaillent quotidiennement Marc-Antoine Ponelle et Louis Grégoire ont servi à autre chose qu’à travailler la prochaine plénière de l’assemblée régionale.
Sur Youtube, le député Allisio a publié une vidéo rendant compte du succès public de ces vœux marignanais. On y aperçoit Marc-Antoine Ponelle, par ailleurs délégué du parti pour la circonscription. Et, au premier rang, Louis Grégoire, qui écoute sagement le patron…